17 juin 2015
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12:50
Derrière les collines, le soleil s'est caché; le vent s'engouffre dans ses cheveux, caressant ses épaules, elle frémit, se retourne brusquement, sentant une présence. Personne pourtant , si ce n'est un couple d'écureuils farceurs, des mouettes criardes et au loin des enfants s'émerveillant devant le vol des rapaces présents en l'enceinte du château.
Marie a froid au fond de son corps malgré la chaleur, quant à son cœur , cela fait onze ans déjà qu'il est prisonnier des glaces éternelles. Elle fait courir sa main sur le parapet crénelé avec minutie comme si sa vie en dépendait depuis des heures. Méthodiquement elle fait le tour des remparts, désespérément seule , espérant toutefois une rencontre.
Marie se penche parfois, un peu trop sans doute, au point de sentir ses pieds se dérober et quitter le sol. En équilibre ainsi sur le ventre, presque libre, presque dans les cieux, presque ivre de grand air, presque heureuse de ce puissant vertige, Marie ferme les yeux et l'appelle à en perdre haleine, son autre, celle qu'elle a dû laisser sur le bord de la route, celle dont elle se sent orpheline, celle qui pleure parfois dans ses yeux alors que sa bouche sourit, celle qui hurle d'abandon revenant chaque année au mois de juin l'assaillir de son absence.
La nuit tombe, soudain Marie l'aperçoit, tas informe, sanguinolent, tapi au fond des douves herbacées. D'un bond, elle retombe sur ses pieds et court, court à en perdre son souffle, dévalant les escaliers de la tour, bousculant les derniers visiteurs sans s'excuser, hurlant son nom, "Minège", espérant qu' elle l'entende enfin et qu'elles puissent s'unir à nouveau.
Parvenue dans les bas fonds, s'élève en elle une douce mélodie, celle de sa vie d'avant. Leurs regards se croisent, se figent, s'embrasent , les images s'entrechoquent, les sensations les envahissent, on les découpe de l'intérieur, on les empale, on les gave, on les étouffe, on les force, on les massacre, on les tue, pourtant l'une doit survivre. Elles se vomissent mutuellement, se combattent, jouant à laquelle sera capable de tout supporter, en silence. Très vite Minège prend ses distances, refusant la violence du combat et leur sang coulant entre leurs cuisses.
Minège, c'est la douceur incarnée, celle qui enlace, protège, câline, préserve, tout simplement parce qu'elle adore la vie et ses galants. Une épicurienne doublée d'une libertine rien que pour le compagnon de sa vie. Elle se love dans le regard de ses amoureux pour deux minutes ou tout une vie. Elle berce son enfant tout en dansant avec le papa sur des complaintes médiévales. Elle rit, taquine, se fait belle et sexy rien que pour ses mains et son doux parfum. Minège est heureuse, la vie est là comme l'écho de son bonheur; elle existe dans ses yeux et leurs désirs chantent une douce mélodie au creux de ses reins.
En une fraction de seconde Minège a choisi, sans même se retourner, c' est dans la blancheur des cimes enneigées de zermatt qu'elle va se réfugier. Le blanc contre le pourpre, le silence face aux cris, le déni pour l’insupportable, l'emmurement à jamais.
Marie tente de retenir Minège encore un peu, juste un filet d'elle comme une goutte d'élixir.....mais le combat pour la vie fait rage. Il faut se battre, dépasser les douleurs physiques, protéger les points vitaux, éviter l'éventrement, pratiquer le déni à son tour, celui de son propre corps et de ses souffrances.
Anéantie durant de longues heures, Marie sort peu à peu de sa torpeur et cherche Minège ; se ressentant sans pour autant se trouver, leurs mains tentent de s'unir, de se réconforter, de se serrer, de se toucher, de s'entrelacer.....seules les glaces embrasent leurs cœurs: deux étrangères à jamais et quelques jours où elles marchent l'une vers l'autre en se souriant de chaque côté du miroir dans l'ombre de la lune.