Peut-on encore, sans risquer les foudres de la justice, utiliser l’expression « faire la bamboula », synonyme de « faire la fête » ? Le tribunal correctionnel de Bobigny, qui juge Marie-Neige Sardin, a mis cette question en délibéré jusqu’au 9 juin. Madame le juge assesseur se défend d’avoir jamais utilisé ni même entendu cette expression.
Il s’agit pourtant d’un mot parfaitement fréquentable, de vieille souche guinéenne, mais chez lui depuis plus de trois siècles au sein de la langue française, où il tient sa place avec honneur.
Sa première occurrence, sous la forme bambalon, se situerait, d’après le CNRS, vers 1688. Peut-être témoigne-t-elle, avant la fonction festive, d’une fonction de transmission des nouvelles (« Ils [les habitants de l'île Sorcière, située devant l'île de Bissao, Guinée] ont certain instrument fait de bois et fort grand, appellé bombalon qui, étant frappé avec un baton, s’entend à ce qu’on pretend de plus de quatre lieues ») ; depuis, le mot à un peu évolué, mais à la marge ; il n’est devenu méconnaissable ni dans sa forme (bambalon, baboua, bamboula) ni dans le fond (le tambour, la danse qu’il rythme, les danseurs qui la dansent).
Le mot resta ce que ses ancêtres l’avaient fait :
un Guinéen arrivé involontairement aux Antilles, en particulier à Saint Domingue/Haïti, sur les navires négriers ; un tambour dont la fonction est de faire danser. Modeste, et fier, il
s’intégra sans se renier ni se faire passer pour autre chose que ce qu’il était, ce qui ne l’empêcha pas de traverser les siècles dans une France certes coloniale au début, mais ni raciste ni
triste. Bamboula mérite donc la place qu’il tient dans notre langue et dans notre culture, en particulier dans la chanson populaire, dont cet article donnera quelques exemples tant anciens et
exotiques que modernes et parisiens.
C’est un métis authentique, dont on connait l’ancêtre premier guinéen, ainsi que toute la lignée des générations sur le sol français. On ne voit pas pourquoi il faudrait cacher son existence à l’heure où l’on nous prône les multicultarismes les plus artificiels, imposant à nos têtes blondes des cours sur des royaumes africains dont l’histoire ne repose sur pas grand chose de documenté.
On retrouve l’expression « faire la bamboula » jusqu’à nos jours, où elle a inspiré une chanson de Carlos sur laquelle nous avons tous dansé :
Elie Semoun lui aussi chante « La grosse bamboula » :
La vocation festive de l’expression « faire la bamboula » est donc bien attestée dans le monde contemporain. Avant cela, le sens du mot connait une évolution en trois étapes :
1 à l’origine, le bambalon, qui deviendra au 18 ème siècle baboula ou bamboula, est une « sorte de tambour en usage chez les Noirs d’Afrique ». Le CNRS estime que le mot est emprunté aux dialectes sarar et bola de Guinée, où ka-mombulon, kam-bumbulu signifie tambour ». Ce tambour est utilisé en Guinée, puis le mot voyage jusqu’aux îles d’Amérique ; il est relevé en 1757 dans une chanson haïtienne (« Mon quitté Bram-bram sonnette Mon pas batte Bamboula »), ainsi encore qu’en 1797 « (Et ma ceinture à sonnettes, Languit sur mon bamboula »). Ce sens de « tambour » est encore dominant en 1831, et déjà associé à la danse, quand un supplément au Dictionnaire de l’Académie françoise le définit ainsi : « Bambou creusé dont les nègres de Saint Domingue font un tambour : danser au son du bamboula« .
2 ensuite, le sens du mot s’étend pour désigner la danse qui s’effectue au son du tambour ; sous la forme baboua, le terme se rencontre dès 1714 pour désigner une « danse de nègres au son du bamboula » ; le Dictionnaire des instruments de musique de Rowland Wright définit le bamboula comme un gros tambour couvert par une peau de mouton, et signale l’erreur de Besch, qui y voyait une sorte de flûte ; il signale encore quelques occurrences, dont celle-ci, de 1834, passe du tambour à la danse : « Le bamboula : ce nom désigne à la fois une danse et un instrument de musique chez les tribus de noirs et de mulâtres, dans l’archipel américain … leur instrument de prédilection est le bambquia. C’est un baril couvert d’une peau et qu’un nègre frappe sans cesse des mains. »
3 le sens s’étend à nouveau pour désigner des personnes, en particulier durant la première guerre mondiale, où l’argot des tranchées appelle ainsi les tirailleurs sénégalais.
En 1848, en Louisiane, Louis Moreau Gottschalk, né à la Nouvelle-Orléans mais originaire de Saint-Domingue par sa mère, composa le tout premier swing, intitulé Bamboula. La carrière internationale de Gottschalk fit beaucoup pour populariser la bamboula hors de son cadre d’origine. Un article sur ce morceau parait dans La France musicale en 1849. L’affiche ici présentée est en français, langue parlée à l’époque en Louisiane :
Une interprétation du Bamboula de Gottschalk est disponible sur YouTube :
Ceux qui préfèrent la guitare manouche au swing de Louisiane s’interesseront au compositeur Eddy « Bamboula » Ferret, et à son immortelle Valse à Bamboula, maintes fois reprise :
L’association du mot bamboula à la fête ne cesse d’être attestée jusqu’à nos jours. Un site internet qui propose des articles de fête (cotillons, déguisement) s’appelle bamboula.com. Le terme n’est pas perçu négativement dans les DOM/TOM, puisqu’un festival martiniquais s’appelle Bamboula Bwabwa et Marionnettes. A Bordeaux, un restaurant-discothèque antillais s’appelle La Bamboula, et célèbre ses racines.
Dans la chanson, le terme apparait à de nombreuses reprises. Ainsi, dans cette chanson de Fernandel appelée Nono et Nana :
« Ils prirent l’apéro Place de l’Opéra
Et mangèrent au Lido du jambon Olida
Puis elle décampa, car s’il était d’campo
Elle avait trop d’boulot pour faire la bamboula »
Puis, le terme bamboula devint suspect. En témoigne la soudaine disparition, il y a une vingtaine d’années, des biscuits au cacao Bamboula, dont la publicité montrait un enfant noir fort déluré. Une chanson publicitaire en contait les exploits. Aucun racisme dans ces représentations qui lui donnaient le beau rôle, mais biscuits, garçonnet et chanson ont disparu soudainement et mystérieusement, probablement victimes d’une action meurtrière secrète de la police de la pensée.
Aujourd’hui encore, plus de vingt ans après, Bamboula garde ses fans, et certains se souviennent de la chanson publicitaire, charmante et nullement raciste, qui a bercé leur enfance :
Il était une fois un petit garçon
Aux pouvoirs magiques, aux multiples dons.
Il portait, en guise de pantalon,
Un habit de peau et un drôle de nom.
Il était une fois, dans un pays chaud,
Un petit garçon au coeur de héros.
Il aimait la vie et les animaux,
Le p’tits gâteaux et… le cacao.
Bamboula
Bien plus adroit que Robin des Bois
Bamboula
De Bambouland, tu es le roi.
Les guerriers dagons sont pire que méchants
Ils détestent tout, même les p’tits enfants.
Bamboula arriv’ra-t-il à temps
Avec sa massue, son bérêt, son anneau, ses gâteaux au cacao ?
Bamboula
Bien plus adroit que Robin des Bois
De Bambouland, tu es le roi
Bien plus grand que l’Himalaya.
La la la la lère, la la la lère.
Cacao, mangeons des gâteaux.
La la la lère, la la la lère,
Dans les bois avec Bamboula.
Catherine Ségurane