Papa, cela fait dix-huit ans, que tu nous as laissées, aussi, j'ai envie de m'asseoir là, à tes pieds, pour te raconter:
Souviens toi, je me blottissais en tes bras, ma tête contre ton coeur et bien souvent tu me racontais, La France:
-celle de mes grands-pères, dans les tranchées de 14-18 et les têtes d' obus transformées en encrier;
-celle de ton enfance et de tes cerfs-volants;
-celle de la guerre de 39-45 où tu fus fait prisonnier et envoyé à Dresde et ses environs;
-celle de ta résistance en devenant interprète, ayant ainsi accès aux précieux renseignements; car derrière ton grand sourire et tes yeux rieurs se cachait un redoutable observateur, l'ennemi lui, te prenait pour un grand naïf! tu en ris encore, j'en suis certaine.
De la guerre, tu ne m'as jamais conté les horreurs, préservant mes oreilles de petite fille, mais tu m'as appris à m'oublier pour ce pays, tu m'as communiqué ton amour pour sa liberté de pensée, d'être, de vivre.
-celle de la guerre d'Algérie durant laquelle je suis née et qui te valut le surnom de "chibani" car tu étais le plus vieux de l'escadron.
-celle de De Gaulle et ton admiration, ton respect, pour ce général qui conduisit le peuple à la victoire, disais tu .
Je ne t'ai vu pleurer ouvertement devant moi, que le jour où tu appris sa mort, même ma main dans la tienne ne te consolait pas.
Lorsque tu n'étais pas en déplacement, tu venais me border, instant magique, trop rare cependant, pour la petite fille que j'étais; Au creux de l'oreille, tu me murmurais ceci:
" Minège, songe toujours aux priorités de ta vie, mon coeur; tout d'abord, il y a ton Pays, notre patrie, puis viennent ta Région, ta Ville, ton Quartier, ta Rue, ton Escalier, ton Voisin, ta Famille proche et s'il te reste encore du temps pour te sauver toi, alors fonce mon amour, le devoir n'attend pas, La France a besoin de tes bras, bisous, fais de beaux rêves, mon ange".
Aujourd'hui, papa, notre patrie souffre, s'épuise, se disloque, s'étiole; elle est méconnaissable :
- mes bras ne suffisent pas à la relever,
- ma voix n'a pas trouvé l' écho nécessaire à la faire se réveiller,
- mes yeux cherchent en vain la reconnaissance de ses couleurs,
- mon coeur bat à tout rompre, la patrie est en danger......